Émotions centrafricaines Mon portable sonne, il s'agit d'un vieil ami chasseur. Il souhaite que je lui propose un séjour pour trois chasseurs. Je pense à la Centrafrique et propose le campement de mon vieux camarade Michel Fusy. Nous nous retrouvons dans un
bistrot tranquille du quartier des Halles. François me
présente ses trois amis, mes futurs compagnons de voyage. Je
fais ainsi la connaissance de Renan, à l'il noir et
malicieux, Marc, quinquagénaire calme et débonnaire et
enfin Thierry un grand costaud aimable et réservé. Le
courant passe immédiatement. Les formalités «
commerciales » sont rapidement expédiées (j'ai
très envie de repartir en Afrique et mentalement ils sont
déjà sur le départ). En nous quittant dans le
frimas parisien, je sens bien que nous sommes déjà un
peu à Bangui, bientôt ce seront la brousse eencore
appelée « bacot ». Prochaine étape et
début du voyage, dans un mois, à la mi-février
à l'aérogare 2B à Roissy Charles de Gaulle. En route pour la
Centrafrique 23 h 35 : nous sommes à bord
de l'avion. Les conversations s'animent. Le repas est rapidement
expédié et chacun y va de son anecdote. Je regarde le
film d'un il distrait en pensant à l'Afrique, ce
continent extraordinaire. Les souvenirs me bercent tranquillement au
son des réacteurs de l'airbus d'Air France. À 8 h 50
(heure locale), notre avion se pose comme une fleur... «
à la russe » comme nous le fait remarquer Marc, un
habitué d'Aeroflot. L'aéroport de Bangui est
très accueillant. Toujours la même foule bigarrée
et souriante, une cohue bonne enfant. Les formalités
douanières, un tantinet folkloriques, se
révèlent cependant sécurisantes : le
contrôle des N° d'armes et la vérification des
munitions sont bien réels. En fin de matinée, nous
pouvons re-décoller à bord d'un avion-taxi : direction
le campement de Michel Fusy. Celui-ci gère depuis plus de 15
ans une zone de 300 000 hectares dans la région de Bamingui,
à 500 kilomètres au nord-est de Bangui. Le territoire,
riche en points d'eau et en rivières, compte une population
d'environ 4 000 buffles, mais on y trouve aussi des
céphalophes à dos rouges, à flancs jaunes, de
Grimm, des bubales major, des hippotragues roannes, des élans
de Derby et enfin des panthères et des lions. Nous survolons des centaines de
kilomètres carrés de forêt luxuriante
striés de temps à autre par la cicatrice
rougeâtre d'une piste rectiligne, en revanche, nous apercevons
peu de villages. Peu de temps pour la rêverie car
déjà se dessine au loin la piste du terrain
d'atterrissage de fortune du campement. Ça y est, nous y
sommes ! Un peu fourbus mais enthousiastes. Après un
déjeuner rapide et frugal, nous commençons les
séances de tir. L'ambiance est bon enfant sauf pour Marc qui
est un peu nerveux. Sa 375 sort de chez son armurier qui lui a
monté une nouvelle lunette. Résultat : ses
premières balles sont franchement à côté
de la cible ! Moment de désarroi... François, qui le
connaît bien, lui prête sa Dumoulin. Gagné ! Les
balles sont toutes dans la cible et la confiance revient peu à
peu. Marc est un bon tireur et son appréhension initiale se
dissipe. Après quelques chargeurs, il a retrouvé tous
ses automatismes. Entraînement et mental jouent vraiment un
rôle essentiel dans la qualité du tir. Une
panthère a mordu à l'un des appâts Dans la soirée Michel Fusy
revient de brousse et nous annonce qu'une panthère a mordu
à l'un des appâts mis en place au cours de la semaine.
Comme personne n'a vraiment envie d'aller se coucher, nous repartons
sur le champ car il y a quand même trois heures de piste. Sur
place, une déception nous attend. La panthère est bien
venue, mais, méfiante, elle a rapidement abandonné la
place. Michel Fusy accroche les restes d'un phaco puis nous
décidons de nous placer dans l'affût, histoire de
voir... Plus d'une heure a passé. Nous sommes immobiles et la
fatigue du voyage commence à se faire sentir. Les
paupières sont lourdes ! Quand, soudain, nous entendons une
série de craquements, étouffés mais parfaitement
audibles. La tension monte... maintenant nous sommes tous
parfaitement réveillés ! Je " crois " reconnaître
les bruits d'une mâchoire broyant des os.... Chacun retient son
souffle. L'affût de branches d'arganier n'est situé
qu'à une quarantaine de mètres de l'appât. Je
jette un coup d'il à notre petit groupe : Renan
vérifie le chargement de sa 416 pendant que François...
se tortille de douleur attaqué par une colonie de fourmis
rouges qui semblent bien apprécier la saveur de cette chair "
européenne ". La nuit est tombée depuis
longtemps et il fait trop noir pour tirer. Nous ne sommes d'ailleurs
pas là pour cela. Quelques minutes s'écoulent encore
et... soudain... nous entendons un rugissement. Plus de doute,
à quelques dizaines de mètres, un lion est en train de
se repaître de la carcasse du phaco. Nous réalisons que
pour rejoindre l'appât, il est vraisemblablement passé
à quelques mètres de nous. C'est extraordinaire, nous
n'avons rien vu ni entendu. Ce " monstre " se déplace comme un
vrai chat. Une bonne demi-heure à attendre, puis
tranquillement, dédaigneusement serait le terme le plus exact,
le roi de la savane quitte la place. Réveil au
chant du coq Après une nuit courte, La
matinée débute au chant du coq par de nouvelles
séances de tir. Les résultats sont maintenant tout
à fait acceptables et les armes sont bien en mains. Durant
l'après-midi, nous vérifions une nouvelle fois nos
équipements et les trousses de premiers secours. Un safari
doit toujours se préparer avec soin. C'est un véritable
raid. Une fois partis, il ne sera pas possible de revenir au
campement sauf à perdre une journée de chasse. Au
dîner, nous organisons les groupes du lendemain.
J'accompagnerai François et Marc, Renan et Lionel partant avec
Michel Fusy. Nous nous levons à quatre
heures. Il fait encore nuit noire. Nous prenons un
petit-déjeuner sur le pouce. Les moteurs des 4X4 tournent
déjà, l'aventure nous attend. Notre équipe au
complet se compose de Marcel (chauffeur et pisteur), André (le
1er pisteur) et Élie le porteur. Nous nous installons
rapidement et en route. La toyota roule dans la nuit finissante.
Déjà les terribles Tsé-tsé nous
souhaitent la bienvenue ! Soudain, André pose sa main sur la
tête de Marcel. Ils échangent quelques mots à
voix basse, nous n'avons toujours rien vu... Nous descendons sans
bruit du 4X4. Les pisteurs scrutent la piste et se déploient
dans les pailles. Sous d'autres tropiques, ils travaillent dans le
même esprit que nos valets de " limiers " (sans le concours de
chiens). La tension monte. Sans un mot, un regard et quelques signes
suffisent, nos pisteurs quadrillent littéralement le terrain.
Nous vérifions une dernière fois nos
équipements. Marcel revient en courant et nous annonce qu'un
vieux buffle solitaire a traversé la piste ce matin
vraisemblablement aux alentours de 5 heures. Après un bref
conciliabule, nous décidons d'essayer de remonter sa trace
même si le vent ne nous est pas vraiment favorable. Derniers
préparatifs : nous vérifions les armes et encore une
fois le bon fonctionnement des culasses, le sac contenant l'eau et
les munitions est chargé. Chacun a bien conscience qu'il n'y a
pas une minute à perdre, mais en Afrique il ne faut jamais
faire l'impasse sur les règles de sécurité.
Quelques minutes ont passé et notre colonne se met finalement
en route emmenée d'un pas décidé par
André. Nous n'avons que quelques heures de chasse devant nous
avant que l'insupportable chaleur du soleil de plomb ne mette un
terme à la partie. Hier soir, Marc a gagné le tirage au
sort. Il a donc le privilège de tirer le premier. Notre
progression est régulière, brièvement
interrompue, de temps à autre, lorsque nos pisteurs perdent la
trace. Le rituel est alors chaque fois le même : ils se
dispersent, tournent, se croisent, reviennent sur leurs pas,
échangent quelques signes et repartent. Nous sommes sur leur
territoire de chasse et il serait présomptueux de mettre notre
grain de sel ; tous les sens en éveil nous les suivons en
silence. Soudain Marcel
s'immobilise... Il se tasse
légèrement sur lui-même et désigne un
point noir face à lui. Marcel a vu le buffle, tout comme
André et Jean-Michel. Nous sommes immobiles, retenant notre
souffle. À notre tour, nous venons d'apercevoir l'animal. Il
se trouve à environ 150 mètres dans les «
kékés ». Il nous faut maintenant l'approcher sans
nous faire éventer afin que Marc puisse le tirer dans de
bonnes conditions. Comme convenu au campement, pour l'approche
finale, seuls André et Marcel le guideront, tous les autres
resteront en retrait. La petite colonne se déplace en silence.
Nous avançons courbés, la tension monte, il faut voir
avant d'être vu ou plutôt voir avant d'être senti
ou entendu. Aux dernières lueurs du
crépuscule de l'aube, soudain, le bruit sec de la
détonation de la 375 de Marc déchire le silence.
Presque aussitôt, nous percevons nettement le fracas de
branches brisées. Le buffle s'enfuit dans un nuage de
poussière. Nous rejoignons nos amis. Les pisteurs sont
catégoriques : Marc a touché l'animal à la
hauteur de l'épaule gauche. Il nous faut maintenant nous
préparer à la poursuite. Le jour vient à peine
de se lever. Nous avons perdu l'initiative, mais nous avons encore
plusieurs heures de chasse avant les grosses chaleurs. Nous
patientons quelques minutes. Il est inutile de se lancer
immédiatement sur les traces du buffle nous risquerions de
l'inciter à fuir encore plus loin. Au contraire, ne se sentant
pas poursuivi, il devrait s'arrêter rapidement. Nous mettons
à profit ces instants de repos pour nous
désaltérer et grignoter un morceau. Rien de tel pour
calmer la tension nerveuse. Un quart d'heure a passé et
nous repartons. Tous les sens en éveil, nous remontons la
piste de l'animal blessé. À quelques mètres
à peine de l'endroit où était le buffle au
moment du coup de feu nous trouvons quelques herbes
écrasées et... du sang sur une branche. Il n'y a plus
aucun doute : le buffle est blessé. L'herbivore est
désormais une bête féroce, prête à
en découdre. Nos regards se croisent, la tension monte encore
d'un cran, chacun sait bien que le buffle mettra toute son
énergie pour survivre. S'il peut le faire, il nous
chargera. La traque recommence. Les traces
nous conduisent vers l'ombre fraîche d'un " bacot ". Nous
progressons lentement. Nos pisteurs sont tendus. L'animal peut surgir
à tout moment et, en une fraction de seconde, il faudra
prendre la bonne décision. Dans ces situations extrêmes,
le doute ou l'erreur se paient au prix fort. Soudain, une
cavalcade sous les arbres
Où est-il ? Nous percevons
clairement un bruit de galop qui se rapproche de nous. Nous serrons
nos armes. Il fait encore frais dans le petit matin, pourtant la
sueur coule sur nos visages dont les traits se creusent. Surtout pas
d'énervement. Nos carabines sont prêtes. Soudain, un
énorme potamochère nous déboule sous le nez !
Fausse alerte ! La poursuite reprend, le buffle a
mis à profit cette diversion pour se relever et reprendre
à nouveau du champ. Sa piste nous conduit cette fois dans les
« pailles ». C'est une mauvaise situation pour un guide,
car l'animal chassé peut à tout moment nous laisser
passer, nous contourner puis nous charger à revers. Tout
à coup, André lève le bras. Le buffle est
là, à 50 mètres. Marc épaule sa carabine
et tire calmement. L'animal fléchit franchement sous l'impact
de la balle, mais reprend une nouvelle fois sa course. Marc a
tiré juste, mais à quelques centimètres
près la balle n'est pas mortelle. En deux mots, Marc,
François et moi tombons d'accord : au prochain contact, nous
tirerons tous les trois afin d'achever l'animal car la poursuite
devient maintenant dangereuse le biotope étant trop
couvert. Nous reprenons la traque et la
marche se fait sans trop de difficulté car le buffle laisse
derrière lui des traces de sang de plus en plus importantes.
Nous traversons le lit asséché d'une rivière. La
rive opposée est un tapis de feuilles mortes. Mauvaise pioche
! Leurs craquements amplifient beaucoup trop le bruit de nos pas. La
progression de notre colonne doit s'entendre à une dizaine de
mètres à la ronde. Il ne manquait plus que ça...
André, le premier pisteur nous appelle d'un claquement de
langue. Il vient de trouver la sortie. Le pistage peut reprendre plus
sereinement. Nous entrons à nouveau dans des pailles. Cela n'a
rien d'engageant car cette fois elles sont carrément plus
hautes que nous. Nous nous arrêtons. Je décide de
scinder le groupe en deux. En avant, Marc, les pisteurs André
et Marcel ; je ferme la marche de ce premier sous-groupe. En
arrière, à une quinzaine de mètres,
François et Élie. Ce second groupe a pour mission de
nous protéger contre une charge de revers. Nous reprenons la
progression. Le soleil commence à monter. Une chaleur humide
se dégage des pailles. Nous avançons lentement. Dans ce
genre de situation, la précipitation est toujours une faute.
Soudain, Marcel se retourne brusquement. Le buffle est là,
à 30 mètres, debout dans les pailles. Il nous fait
face, mais il ne nous a pas encore repérés.
Désorienté par le second coup de feu, il cherche
à savoir où nous sommes. Nous nous figeons
immédiatement, de véritables statues de sel !
Après quelques secondes d'immobilité, le buffle repart.
Nous le suivons. Tout à coup, André se fige, il tend
doucement le bras. Le buffle est sorti des pailles. Il est de trois
quarts arrière. Sa tête est tournée dans notre
direction. Nos regards se croisent. Nous épaulons tous les
trois. Marc avec sa 375, Marcel avec sa 458, je serre ma vielle 378.
Marc tire en premier, nous doublons son tir dans la foulée.
Blessé à mort, l'animal s'écroule. Le second
groupe emmené par François qui avait le rôle
ingrat de nous protéger vient de nous rejoindre. Marc
épaule une dernière fois pour achever le buffle (on
n'est jamais assez prudent). Marcel lui désigne le
cur. Tout est fini. La tension retombe.
Marc vient de tuer son premier buffle. Il n'a jamais
démérité. Toutes ses balles étaient bien
placées, mais il est très rare de tuer sur place un
trophée du big five. Je regarde ma montre. Nous avons pris la
trace du buffle un peu avant 6 heures et il est maintenant
près de 11 heures. Notre chasse aura duré plus de
quatre heures de tension et d'émotion intense. Une piste
longue de plusieurs kilomètres. Saluons nos pisteurs
centrafricains qui nous ont prouvé qu'ils étaient parmi
les meilleurs du monde. |