Tradition : la fabrication artisanale d'une arme Depuis le XVI° siècle, les maîtres-artisans armuriers stéphanois créent de toutes pièces des fusils de chasse. Transmis de
générations en générations, leur
savoir-faire, est demeuré intact jusqu'à nos jours. Il
est encore possible de trouver en France, cet artiste qui
créera pour vous un fusil d'exception. Pour le chasseur, comme pour
l'amateur d'armes d'exception, la recherche d'un fusil unique peut
être le but de toute une vie. Nous avons tous rêvé
de cette arme créée et monté par un artisan
confirmé et préoc-cupé, tout à la fois,
de la solidité, de la sécurité, de
l'efficacité et de l'élégance. Il y a encore en
France des artisans consciencieux qui ont su perpétuer cette
tradition tout à la fois tech-nique et esthétique. Ces
hommes font honneurs leur corporation. Chacune de leur arme est
exceptionnelle, incomparable. Elle est réalisée sur
commande à partir d'aciers fins, traités
spécialement, en fonction de l'usage intensif,
réservé à ces fusils. La crosse est
établie exactement aux dimensions du client, dans un bois
soigneusement sélectionné en fonction de sa
résistance et de sa beauté. M. Alain Vollerin a pris le
temps d'observer et d'apprécier les techniques et les
savoir-faire de ce métier d'art, une de nos plus belles
traditions. Laissons-lui nous conter en quelques lignes,
malheureusement trop courtes, les réalités de ce
merveilleux travail d'artisan armurier. Sous la plume d'Alain
Vollerin témoigneront, tour à tour, quatre grands
acteurs de la fabrication d'une arme édifiée à
la main. Nous essaierons ainsi de suivre, de comprendre et
d'apprécier le rôle et le talent de chacun de ces
hommes. Le
basculeur C'est avec une lime que ce
compagnon effectue le travail de préparation des
différentes pièces constituant l'arme. Son ouvrage
nécessite au minimum trois jours de travail. La bascule,
protégée dans des mordaches en plomb, est serrée
par un étau. Puis elle travaille avec diverses limes, selon
l'importance des retouches. On utilise d'abord, une lime
d'ébauche, puis, une lime triangulaire ou tiers-point. Le
basculeur vérifie la pièce retouchée, avec une
équerre. Les différentes corrections s'effectuent sur
la pièce de bout, pour la préparation du tonnerre de la
bascule, sur le plat, pour l'aménagement des planches, et sur
l'arrondi, pour le façonnage de la charnière. Ces
retouches longuement, et soigneusement renouvelées,
jusqu'à la perfection, sont indispensables avant
d'entreprendre les ajustements. Pour le polissage de la bascule, une
petite lime triangulaire très fine, est utilisée, avant
le passage de la toile émeri à grains fins. La
préparation finale Le basculeur vérifie
ensuite, au pied à coulisse, le parallélisme de la
côte d'ajustement. Il s'agit de la préparation finale,
avant le passage d'un premier mandrin "simple", inclus par un
léger va-et-vient. Un second mandrin, "double", est
engagé pour aligner les deux cages, parties où viennent
s'encastrer les crochets du canon. Ainsi, quatre mandrins seront
successivement intro-duits lentement, dans un mouvement en arc de
cercle. La finition de la charnière s'effectue au rodoir. Puis
l'homme de l'art égalise, la charnière de la bascule
qui sera huilée, en l'assouplissant doucement et avec
régularité. Pour l'élaboration de la
découpe des crochets, le basculeur procède au
traçage sur le canon, à l'aide d'un gabarit et d'une
pointe à tracer. Ce travail se pratique toujours à
l'étau. Le compagnon lime en fonction du tracé, pour
abattre les parties à rectifier. Préalablement poli, le
crochet est prêt à recevoir la goupille dans son
logement définitif.Les crochets sont noircis, à la
flamme d'une lampe à mèche, pour une ultime
vérification. Cette opération est renouvelée de
multiples fois jusqu'à l'obtention d'un assemblage
parfait. L'assemblage
canon-bascule L'assemblage canon-bascule,
élément essentiel de la fabrication du fusil de chasse
à platines, est vérifié, grâce au test du
noir de fumée. Après contact des deux pièces, on
doit voir, sur le secteur du canon, apparaître un huit
absolument parfait. Les parties à rectifier sont
réduites à la lime triangulaire. L'armurier doit
rechercher la meilleure assise possible afin que son geste demeure
précis et assuré. C'est aux soins apportés dans
la répétition des gestes techniques
hérités de la tradition, qu'il est possible de mesurer,
la passion, et la compétence d'un maître ouvrier
armurier. Son infinie patience est la garantie d'une parfaite
exécution de ce travail. C'est ce travail d'orfèvre qui
confère à cette arme une fiabilité et une
précision totales. Pour conclure cette
opération de placage, l'artisan armurier ajuste les crochets,
avant la finition à la toile émeri. Il va ensuite
procéder à l'assemblage de la marche de clé, en
vue de la fermeture ultérieure du canon et de la bascule.
Traditionnellement, l'artisan effectue d'abord, le montage du verrou.
Puis il pose la clé sur son axe et ajuste celle-ci au marteau.
Enfin, le compagnon introduit le ressort à la pince. À
chacune de ces opérations il est nécessaire de
vérifier le bon fonctionnement de l'assemblage ainsi
réalisé. Pendant l'ajustage des platines, celles-ci
sont limées, pour venir épouser parfaitement
l'emplacement qui leur est destiné. Chacune des pièces
constituant le mécanisme intérieur des platines est
réglée par une mise au point, très
délicate, qui répond à des normes
précises, en ce qui concerne, par exemple, le calcul de
l'armement des gâchettes ou encore la préparation des
éjections, etc. Avant d'être assemblés entre eux
au tournevis, les éléments sont rectifiés si
nécessaire, à la lime. Puis vient le
tour de l'équipeur Le travail de l'équipeur
commence, après le retour du fusil de la monture, qui consiste
en un assemblage du bois sur les parties métalliques.
L'artisan effectue l'ensemble des réglages de la marche
intérieure de l'arme, et tous les traitements thermiques.
Après le traçage au trusquin, le fusil est placé
dans l'étau, protégé par des mordaches en bois,
et limé, d'abord au tiers-point, puis, fini à la lime
plate. L'intérieur de la bascule est poli à la toile
émeri, ainsi que la charnière. C'est ainsi que toutes
les pièces seront affinées, avec le plus grand soin et
une précision extrême. Pour une nouvelle
vérification, l'équipeur passe le tonnerre du canon au
noir de fumée. Le bruit du claquement des pièces, au
moment de la fermeture, doit être très net. Quelques
retouches sont parfois nécessaires. On procède ensuite,
au contrôle de la fermeture de la marche de clé, pour
vérifier si les entaillages des crochets sont corrects. La
mise en forme de la coquille, s'effectue progressivement au burin et
au marteau. Il s'agit d'une opération très
délicate car le repentir n'est pas possible. Il faut
dégrossir, régulièrement l'acier, pour obtenir
un arrondi harmonieux, et proportionné, de la forme.
L'affinage définitif de la coquille est exécuté
avec différentes limes, en fonction de la progression du
travail. On termine cet ouvrage par un dernier polissage. La
crosse La forme générale de
la crosse, correspondant aux mesures exactes du chasseur, est
modelée par le monteur à bois. Pour le repassage de la
crosse, l'équipeur pousse, d'un geste large, sa râpe
à bois. Il change plusieurs fois d'outils, selon la forme et
l'évolution de son ouvrage. La crosse est ensuite
lissée au papier de verre. Après la
vérification, du réglage de la marche
intérieure, le fusil est terminé, pour ce qui concerne
"l'équipe". Mais notre homme de l'art va, par acquit de
conscience, contrôler une fois encore, une fois de plus
serions-nous tenté d'écrire, la mesure de la pente de
la crosse, celle de la pente au talon et la mesure du busc. Puis il
effectuera la mesure du poids des départs : sur la
première et la deuxième détente. Enfin l'acheveur
parachève l'ouvrage Dans cette mise en scène,
cette représentation unique, le rôle de l'acheveur est
de donner un bon état de surface extérieure au canon.
La première intervention s'effectue à l'aide d'une
écouane, qui arrache par petits copeaux, les imperfections du
métal. L'artisan parachève le travail par l'emploi,
dans un geste régulier, du rabot à canon. L'acheveur
examinera attentivement, ce qui est appelé, dans le langage de
l'armurier : la "queue de billard". À la recherche du brillant
le plus parfait, le compagnon polira soigneusement le canon du fusil
à la toile émeri. C'est ainsi que, selon la technique
du tampon par exemple, pour réaliser un bon vernis de la
crosse, il est nécessaire d'appliquer, au moins, 30 couches
successives ! Le bois choisi est toujours le noyer, pour sa grande
fiabilité, la finesse, et la variété infinie de
ses dessins qui lui confèrent d'appréciables
qualités esthétiques. Conformément, au choix du
collectionneur, la crosse peut être quadrillée, ce qui
ajoute un charme certain, et permet, en outre, une préhension
accrue de l'arme. Plus tard l'arme sera confiée à un
artisan graveur. Il réalisera sa décoration à
partir d'éléments fournis par le chasseur. L'armurier
est par nature un perfectionniste. Tout doit être plaisant,
raffiné dans sa conception comme dans son exécution.
C'est ainsi que sera conçu puis naîtra cette arme
unique, pour le plaisir et la satisfaction du chasseur le plus
exigeant. Alain Vollerin |